Perle fine

Outre son niveau artistique exceptionnel, Perle fine d’Oscar Jespers est une statue intéressante d’un point de vue culturel et historique. C’est en effet l’avocat acquis à la cause flamande, René Victor, qui en a été le premier propriétaire. Cette pièce témoigne de la relation particulière entre l’avant-garde artistique et le mouvement flamand dans les années vingt.

Son auteur, Oscar Jespers (Borgerhout, 1887 – Bruxelles, 1970), considérait lui-même Perle fine comme l’une de ses sculptures les plus abouties, comme l’indique la présence de cette pièce à quasi toutes les grandes expositions auxquelles il a participé. Dans son travail du début des années vingt qui tend alors à l’abstraction, Perle fine constitue un point culminant, au même titre que La cape (1922, KMSKA, Anvers) et Le jongleur (1923, MSK, Gand). Après cette version originelle en marbre, il réalisera d’autres sculptures similaires en céramique émaillée blanche et en plâtre.

En compagnie de son jeune frère Floris et de Paul Joostens, Jespers fait partie de De Bond zonder verzegeld papier (« La Ligue sans papier timbré »), le cercle d’avant-garde autour de Paul van Ostaijen. C’est ainsi qu’il se charge notamment de la mise en images du célèbre recueil Ville occupée (1918/1921), et qu’il conçoit le monument funéraire du poète flamand au cimetière anversois du Schoonselhof. Lorsque Jespers déménage à Bruxelles en 1927, l’architecte Victor Bourgeois réalise pour lui les plans d’une maison avec atelier.

Même si l’origine de cette sculpture est mal connue, Perle fine peut être située après la période d’exploration des possibilités du cubisme menée par Jespers. Il s’agit d’un des premiers chefs-d’œuvre de la sculpture moderniste en Belgique. Puisant son inspiration auprès de Brancusi, Jespers combine dans Perle fine un formalisme radical et un raffinement très séduisant.

La particularité de Perle fine est notamment liée à la représentation très simple des éléments du visage tels le nez, les lèvres ou les paupières ressortant à peine. La courbe fluide de la pierre reste ainsi intacte. De face, le visage est un ovale à l’extrémité inférieure pointue, reposant sur la partie supérieure du cou. Le visage s’étirant de manière quasiment ininterrompue pour se terminer en un chignon très simple et serré, cette sculpture vue de profil n’est pas loin d’évoquer un triangle, tout en conservant quelque chose d’organique.

Malgré sa simplicité, cette représentation stylisée d’une tête de femme intrigue au plus haut point. Peut-être est-ce dû au positionnement légèrement asymétrique de la bouche et du menton, ou au nez plat, aux yeux étroits ou encore aux cheveux fortement tirés vers l’arrière. Ces éléments confèrent à la sculpture un caractère exotique, oriental tout en gardant quelque chose d’archaïque. Les traits du visage peu marqués permettent à l’abstraction et à la figuration de se contrebalancer harmonieusement.

Dans un premier temps, c’est le collectionneur René Victor qui acquiert cette œuvre auprès de l’artiste. Apparemment, son titre viendrait d’ailleurs d’une visite d’atelier effectuée par l’avocat. En apercevant cette œuvre, il se serait exclamé : « C’est vraiment une perle fine ! », en faisant sans doute référence à sa forme de perle naturelle. En ce sens, la statue apporte également un éclairage sur l’alliance remarquable entre l’avant-garde artistique et le mouvement flamand dans les années vingt. Victor était en effet connu comme avocat acquis à la cause flamande, mais aussi en tant que professeur de droit constitutionnel à l’ULB. Il n’était pas pour rien l’ami de Van Ostaijen et des frères Jespers.

Oscar Jespers est sans aucun doute un des sculpteurs belges majeurs du vingtième siècle. Sa place au Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers à sa réouverture coule de source. D’autant plus que l’avant-garde, et en particulier la sculpture belge, y occupera une place de choix.

Dans l’attente de cette réouverture, Perle fine constituera un complément remarquable à la collection d’art moderne du Musée L à Louvain-la-Neuve. La statue présente en effet un travail de simplification de la forme poussé au seuil de l’abstraction. Cette frontière entre la figuration et l’abstraction constitue le propos principal de la collection d’art moderne du Musée L. 

Type : 
Sculpture
Material / technique : 
Marbre
Dimensions : 
h. 22,5 x l. 11 x prof. 22,5 cm
Type of acquisition : 
Acquisition du Fonds du Patrimoine
Year of acquisition : 
2018
Depository institution : 
Musée L